vendredi 7 mai 2010
L'alberta a un agenda autonomiste, bonne nouvelle pour les souverainistes...
Le réveil de l'Alberta
À l'image du Québec, la plus riche des provinces canadiennes sera plus revendicatrice et autonomiste... quitte à augmenter les tensions avec Ottawa et le reste du pays
Alec Castonguay 8 mai 2010 Canada
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
La cause est entendue dans le reste du Canada: le Québec est le mauvais garçon de la fédération. La province semble en constant affrontement politique avec Ottawa et en veut toujours davantage dans tous les domaines. Mais Québec ne sera plus la seule source de tensions. Le virage revendicateur et autonomiste de l'Alberta ne fait que commencer.
Edmonton — Dans son grand bureau vitré au quatrième étage du parlement albertain, en plein coeur de la capitale, le nouveau ministre des Finances, Ted Morton, s'ouvre un Coke Diet et s'affale sur une chaise. Il est passé 17h30 et la journée s'annonce encore longue.
Les réunions s'enchaînent pour Ted Morton, qui est devenu en janvier le nouvel homme fort du premier ministre Ed Stelmach, en chute dans les sondages. Pour redresser le navire progressiste-conservateur qui tangue, Ted Morton a reçu deux mandats aussi lourds que délicats de la part du premier ministre.
D'abord, réduire le déficit de la province, qui s'élève à 4,7 milliards de dollars (le Québec a un déficit de 4,5 milliards). Ensuite, lancer une petite révolution politique en faisant passer l'Alberta dans le clan des «grandes provinces» canadiennes, celles avec lesquelles Ottawa doit absolument composer. Edmonton estime que la fédération connaît des ratés qui la désavantagent. Et elle veut que ça change. Pour y arriver, le gouvernement Stelmach souhaite augmenter la pression sur le fédéral dans plusieurs domaines, notamment la péréquation, les transferts en santé et le système de pension.
En entrevue avec Le Devoir, Ted Morton, malgré la fatigue, affiche l'air du général déterminé à remporter la bataille. «Un de mes mandats est de défier Ottawa sur la péréquation et sur les transferts en santé. On va être plus exigeants», dit-il.
Pourtant, le gouvernement progressiste-conservateur a été plutôt calme ces dernières années sur le front fédéral-provincial. La prospère Alberta encaissait l'argent du pétrole et du gaz sans faire de vagues. Cette époque est révolue, prévient Ted Morton. «On veut des changements, des réformes. Et ce côté revendicateur, c'est nouveau pour notre gouvernement.»
La première cible est trouvée: le système de péréquation fédéral, qui permet de redistribuer la richesse du pays aux provinces moins nanties afin que celles-ci puissent offrir un niveau de service comparable. Cette année, Ottawa distribue 14,3 milliards de dollars, qui profitent à toutes les provinces, sauf à l'Alberta, à Terre-Neuve, à la Colombie-Britannique et à la Saskatchewan. Le Québec touche 8,55 milliards en péréquation, soit 24 % de ses revenus totaux.
Fin janvier, Ted Morton a commencé la bagarre albertaine. «Le gouvernement fédéral n'a-t-il pas besoin de trouver 56 milliards de dollars pour éponger son déficit? Pourquoi ne pas commencer avec la péréquation? a-t-il écrit dans le National Post. Pourquoi ne pas revoir tout le système de transfert aux provinces? [...] Il est temps d'en parler.»
Le gouvernement Stelmach soutient qu'il y a un déséquilibre négatif de 21 milliards de dollars par année entre ce que l'Alberta paie en impôts et en taxes à Ottawa et ce qu'elle reçoit en services du gouvernement fédéral. «Est-il normal que l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, qui touchent de la péréquation, aient plus de médecins et d'infirmières par habitant que l'Alberta?», lance Ted Morton.
Le ministre des Finances a un atout de taille: les Albertains. Un sondage Léger Marketing publié en janvier 2009 montre que 78 % des Albertains estiment que la fédération canadienne leur coûte plus cher qu'elle ne leur rapporte.
Ted Morton a une autre alliée dans sa bataille pour changer la formule de péréquation: Danielle Smith, la chef du Wildrose Alliance Party, un nouveau parti de droite qui a le vent dans les voiles en Alberta. Les deux partis qui caracolent en tête des sondages sont donc sur la même longueur d'onde.
En entrevue avec Le Devoir dans son bureau du centre-ville de Calgary, Danielle Smith assène calmement des phrases qui font mouche auprès des Albertains. Les provinces pauvres se payent de gros programmes sociaux avec la péréquation, donc aux frais des Albertains, dit-elle. «Est-ce normal que le Québec soit en mesure de s'offrir des garderies à 7 $ par jour?», dit-elle, passant sous silence le fait que le Québec a aussi des taxes et des impôts plus élevés que la moyenne canadienne, ce qui contribue à payer ces services. «On est d'accord sur le principe de la péréquation, dit Mme Smith. Mais là, ces provinces s'offrent de meilleurs services. Je pense que ça va créer des tensions dans la fédération.»
Virage autonomiste
La réforme de la péréquation a beau être importante, l'Alberta entend ouvrir d'autres fronts avec Ottawa. Le prochain: créer son propre système de retraite, comme au Québec. Les pensions de la province sont actuellement gérées par Ottawa. «La forme n'est pas arrêtée encore, mais on va mettre en place quelque chose géré par les Albertains, dit le ministre des Finances. On va être plus en contrôle de nos affaires, de notre futur.»
Cette dernière phrase n'est pas anodine. Elle est lâchée par Ted Morton avec le sourire carnassier de celui qui se prépare à attaquer. Il faut dire que le courant en faveur d'une plus grande autonomie de l'Alberta dans le cadre canadien est de plus en plus fort. Dans les rues d'Edmonton et de Calgary, les citoyens rencontrés par Le Devoir ont le sentiment de pouvoir mieux gérer certains programmes que le gouvernement fédéral.
Mike Miles, 38 ans, s'est longtemps identifié comme un progressiste-conservateur. Aujourd'hui, ce prospecteur pétrolier a rejoint les rangs du Wildrose Alliance Party. Assis une bière à la main dans un pub sportif du quartier Calgary-Glenmore, au sud de la ville, il résume ce qui pour lui tombe sous le sens. «Si on peut diriger nos propres affaires et qu'on peut faire mieux, pourquoi pas?»
Son engagement au sein du Wildrose n'est pas un hasard. Le parti de Danielle Smith tape sans cesse sur deux clous: les finances publiques — l'économie est la priorité du Wildrose — et l'affirmation de la province. Le Wildrose Alliance Party a une aile autonomiste forte et propose que l'Alberta crée sa propre police provinciale, gère la sélection de ses immigrants, perçoive ses impôts et mette en place un système de retraite albertain, entre autres. Des leviers actuellement contrôlés par Ottawa.
«Peut-être qu'on avait besoin d'aide du fédéral avant, mais on est maintenant la troisième économie du pays en importance, dit Danielle Smith. On a des ressources stratégiques qui font l'envie du monde. On n'est plus un joueur junior dans notre confédération. Il faut arrêter de se voir petits. Il est temps de reprendre le contrôle de nos responsabilités.»
Tous les sondages placent le Wildrose en tête dans les intentions de vote — parfois avec 15 points d'avance — depuis décembre dernier, soit quelques semaines après que la charismatique et éloquente Danielle Smith en eut pris les rênes à la suite d'une course au leadership.
Le Wildrose compte trois députés à l'Assemblée législative. Assis dans son bureau du parlement, le numéro deux du Wildrose, Paul Hinman, affirme que les Albertains sont rendus là. «Ce sont des principes simples qui traitent de l'indépendance de la province plutôt que de sa dépendance. On doit prendre nos responsabilités», dit-il, lui qui a été élu à Calgary lors d'une élection partielle l'automne dernier.
L'Alberta va plutôt bien, alors pourquoi tous ces changements? «C'est vrai, mais on peut faire beaucoup mieux, dit Paul Hinman. C'est comme avoir Sidney Crosby dans ton équipe. Tu peux le faire jouer juste cinq minutes par match et il va compter des buts. Mais pourquoi ne pas réaliser son plein potentiel et le faire jouer 20 minutes? Les Albertains veulent qu'on excelle.»
La lettre «coupe-feu»
L'idée de rapatrier des pouvoirs comme l'immigration, la police, la gestion des impôts ou encore le système de retraite a d'abord été soulevée dans une lettre devenue célèbre dès sa parution dans le National Post, le 27 janvier 2001. Intitulée «The Alberta Agenda», elle a circulé avec le surnom de «Firewall Letter» (lettre «coupe-feu»), puisque les auteurs suggéraient que l'Alberta se développe à l'abri du pouvoir fédéral.
Dans l'introduction de la lettre, on peut lire: «Nous croyons qu'il est temps pour les Albertains de prendre en charge leur propre destinée. Cela veut dire récupérer des pouvoirs qui nous appartiennent selon la Constitution, mais que nous avons laissé le gouvernement fédéral exercer.»
Parmi les six signataires, on compte Tom Flanagan, professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary, qui est devenu l'un des mentors de Danielle Smith. On note aussi la présence de Stephen Harper, qui n'était pas encore chef du Parti conservateur, et de... Ted Morton, alors professeur à l'Université de Calgary.
Ce n'est pas pour rien que le premier ministre Stelmach a fait de Ted Morton son homme fort. Non seulement le ministre des Finances est un faucon économique, un libertarien (comme Danielle Smith), mais il a aussi une vision autonomiste. «Morton est là pour aller chercher les électeurs séduits par les sirènes du Wildrose. Toute la classe politique est donc en mode revendication par rapport à Ottawa», affirme Roger Gibbins, président de la Canada West Foundation, un groupe de réflexion sur la politique dans l'Ouest.
En entrevue, Ted Morton ne fait pas de mystère. Il a bien l'intention de poursuivre sa vision de 2001. «Je soutiens encore tout ce qui est dans ce manifeste. C'est plus une question de "comment y arriver".»
Négociations difficiles
Ted Morton sait bien que rapatrier tous ces pouvoirs va nécessiter de longues et peut-être difficiles négociations avec Ottawa. C'est pourquoi il mise beaucoup sur la présence de Stephen Harper dans la capitale fédérale. «Je pense que, si Harper obtient une majorité, il va être plus conciliant et laisser des provinces comme l'Alberta et le Québec mettre en place des projets plus autonomistes.»
Et si le Parti libéral du Canada reprend le pouvoir? «Si l'histoire est garante de l'avenir, la réponse est que ça va être plus difficile. Les tensions seront plus grandes», dit Ted Morton. Son opposante, Danielle Smith, est du même avis. «Je vois mal Harper nous mettre des bâtons dans les roues, alors qu'il a signé la "Firewall Letter".»
La bataille sur la péréquation sera beaucoup plus périlleuse, conviennent les politiciens albertains. Il ne s'agit pas de négocier des ententes à la pièce, mais de modifier un programme qui profite à plusieurs provinces. «Peut-être qu'il va y avoir un peu de chicane!», dit Paul Hinman, avant d'éclater d'un grand rire. «Mais un bon débat, ça fait toujours du bien!»
source : Le Devoir en Alberta
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Le canada est supposé être une confédération. Il s'agit d'un regrouppement de plusieurs états qui mettent en commun certains services.
RépondreSupprimerCela s'est transformé en fédération où le pouvoir central s'accapare de tout.
En ce sens, les Albertains n'ont pas tort.
Accent Grave