L'Europe de l'Est, puis la Chine, puis l'Inde s'étaient lancées avec un zèle de néophyte dans la recherche effrénée du profit. Mais, au début du vingt et unième siècle, un milliard d'êtres humains ont été chassés de leurs terres par la concurrence des agricultures industrialisées. Leurs enfants sont dans l'errance. Ils ne peuvent plus retourner cultiver la terre, car le savoir-faire de leurs ancêtres ne leur a pas été transmis. Ils ne peuvent pas non plus s'intégrer à la société technologique moderne, car l'école n'était pas prête à les accueillir. Ce sont des "sauvages urbains", des femmes et des hommes élevés hors de toute culture, revenus en quelque sorte à l'état de Nature, obligés de considérer la ville comme une jungle et d'y inventer de nouveaux moyens de survie. Plus de la moitié de l'espèce humaine est maintenant urbanisée. L'insécurité gagne le centre des mégalopoles, à Los Angeles comme à Mexico, à Bombay comme à Alger. Il n'y a plus des pays riches d'un côté et des pays pauvres de l'autre, mais des riches et des pauvres à cent mètres les uns des autres, sur toute la planète.
Les événements dramatiques et destructeurs des années 2020 saisissent de peur la classe dirigeante. Le marché des blindages, des serrures et des caméras de protection n'a jamais été aussi florissant. Après quelques années de répression et de protection, il lui faut se rendre à l'évidence : on ne peut pas endiguer cette marée de violence. Il faut s'attaquer à sa cause et changer complètement de stratégie. On croyait à l'économie libérale. Il s'avère qu'elle sert de feuille de vigne à des maffias. Les rapports de force perdurent, mais transfigurés. Ils s'appuient désormais sur des systèmes-drogue. Aux stupéfiants anciens sont venus s'ajouter de multiples accoutumances et asservissements, imprègnant le commerce ordinaire, qui enfoncent l'individu dans des comportements auto-destructeurs, sur fond de désespoir.
Les défenses des humains sont prises en défaut par cette attaque de leur volonté même. Aussi la réaction est-elle à la mesure de la menace. Le laisser-faire libéral est accusé de laisser aller. Les formidables moyens de la technique, en particulier les univers virtuels, sont réquisitionnés au nom de la vertu. Les valeurs anciennes sont rejetées. En situation d'urgence, l'ambiguïté n'a plus sa place. Les délicats dosages politiques et la tolérance d'autrefois sont considérés comme décadents, plus dangereux que la force brute, qui au moins s'affiche clairement.
Structurant le mental et les comportements, la société d'enseignement s'établit alors, en réaction à la période précédente, perçue comme laxiste. Elle normalise comme l'école de Jules Ferry ou de l'empereur Meiji, mais avec des moyens autrement puissants. Les esprits sont mis au carré par des logiciels d'entraînement mental. Les tests de conditionnement sont rendus obligatoires, en préalable même à des gestes quotidiens, tels des retraits bancaires.
Aidé d'une technologie appropriée, le contrôle social se fait beaucoup plus strict. L'utilisation de badges magnétiques détectés par radar est généralisée. L'ouverture des portes des bureaux, des commerces et même de certains lieux publics se fait automatiquement, mais seulement devant le porteur du sésame prévu.
Après la dure prise de conscience de la classe dirigeante, la société s'organise autour d'un projet global : la domestication de l'homme par l'homme. Nous ne pouvons pas espérer maîtriser les techniques modernes avec des humains sauvages restés biologiquement au niveau d'un primate des savanes, pense-t-on. On ne sait pas non plus modifier le génome de l'homme pour en faire un être adapté à ce nouvel environnement. Il faut donc le domestiquer. La plasticité de son comportement s'y prête. Elle est due à la "néoténie", ce retard de maturation qui lui permet de conserver jusqu'à l'âge adulte l'adaptabilité des enfants. Les marchands l'avaient exploitée pour fidéliser le client. Il faut maintenant le mettre au service d'un processus énergique d'adaptation : l'enseignement.
Les grands projets techniques sont lancés. D'abord des cités marines, pour désengorger les côtes saturées, et accueillir des masses de population errantes, puis d'immenses opérations d'urbanisme. On supprime les quartiers insalubres. On construit dans des lieux isolés des cités d'enseignement, capables d'intégrer les "animaux humains" dans un environnement scientifique et technique.
Les espaces ruraux délaissés par suite des migrations vers les villes sont réappropriés par des organismes d'aménagement, qui établissent un programme planétairede reboisement et de réhabilitation de la Nature.
On se met d'accord sur un immense projet de vie dans l'Espace, dans un esprit de conquête, comme la plus grande démonstration des capacités de l'espèce humaine, désormais capable d'échapper même à la mort du soleil. On veut aussi y transporter des performances. Dans une planète creuse tournant au ralenti, où règne une pesanteur dix fois plus faible que sur terre, le patinage artistique, le saut à ski et le vol libre deviennent des spectacles fabuleux. Ce sont des cathédrales médiatiques, à la gloire du corps humain.
Mais les dirigeants conservent aussi une arrière pensée. Le jour venu, les cités lointaines et isolées, les villes marines et même les planètes creuses artificielles ne seraient-elles pas bien utiles pour se débarrasser des personnages indésirables sur terre ? La colonisation du nouveau monde s'était grossie des marginaux et délinquants dont ne voulait plus la vieille Europe. Il y a des héros chez les pionniers. Il y a aussi des despérados qui s'échappent d'un monde hostile.
Les événements dramatiques et destructeurs des années 2020 saisissent de peur la classe dirigeante. Le marché des blindages, des serrures et des caméras de protection n'a jamais été aussi florissant. Après quelques années de répression et de protection, il lui faut se rendre à l'évidence : on ne peut pas endiguer cette marée de violence. Il faut s'attaquer à sa cause et changer complètement de stratégie. On croyait à l'économie libérale. Il s'avère qu'elle sert de feuille de vigne à des maffias. Les rapports de force perdurent, mais transfigurés. Ils s'appuient désormais sur des systèmes-drogue. Aux stupéfiants anciens sont venus s'ajouter de multiples accoutumances et asservissements, imprègnant le commerce ordinaire, qui enfoncent l'individu dans des comportements auto-destructeurs, sur fond de désespoir.
Les défenses des humains sont prises en défaut par cette attaque de leur volonté même. Aussi la réaction est-elle à la mesure de la menace. Le laisser-faire libéral est accusé de laisser aller. Les formidables moyens de la technique, en particulier les univers virtuels, sont réquisitionnés au nom de la vertu. Les valeurs anciennes sont rejetées. En situation d'urgence, l'ambiguïté n'a plus sa place. Les délicats dosages politiques et la tolérance d'autrefois sont considérés comme décadents, plus dangereux que la force brute, qui au moins s'affiche clairement.
Structurant le mental et les comportements, la société d'enseignement s'établit alors, en réaction à la période précédente, perçue comme laxiste. Elle normalise comme l'école de Jules Ferry ou de l'empereur Meiji, mais avec des moyens autrement puissants. Les esprits sont mis au carré par des logiciels d'entraînement mental. Les tests de conditionnement sont rendus obligatoires, en préalable même à des gestes quotidiens, tels des retraits bancaires.
Aidé d'une technologie appropriée, le contrôle social se fait beaucoup plus strict. L'utilisation de badges magnétiques détectés par radar est généralisée. L'ouverture des portes des bureaux, des commerces et même de certains lieux publics se fait automatiquement, mais seulement devant le porteur du sésame prévu.
Après la dure prise de conscience de la classe dirigeante, la société s'organise autour d'un projet global : la domestication de l'homme par l'homme. Nous ne pouvons pas espérer maîtriser les techniques modernes avec des humains sauvages restés biologiquement au niveau d'un primate des savanes, pense-t-on. On ne sait pas non plus modifier le génome de l'homme pour en faire un être adapté à ce nouvel environnement. Il faut donc le domestiquer. La plasticité de son comportement s'y prête. Elle est due à la "néoténie", ce retard de maturation qui lui permet de conserver jusqu'à l'âge adulte l'adaptabilité des enfants. Les marchands l'avaient exploitée pour fidéliser le client. Il faut maintenant le mettre au service d'un processus énergique d'adaptation : l'enseignement.
Les grands projets techniques sont lancés. D'abord des cités marines, pour désengorger les côtes saturées, et accueillir des masses de population errantes, puis d'immenses opérations d'urbanisme. On supprime les quartiers insalubres. On construit dans des lieux isolés des cités d'enseignement, capables d'intégrer les "animaux humains" dans un environnement scientifique et technique.
Les espaces ruraux délaissés par suite des migrations vers les villes sont réappropriés par des organismes d'aménagement, qui établissent un programme planétairede reboisement et de réhabilitation de la Nature.
On se met d'accord sur un immense projet de vie dans l'Espace, dans un esprit de conquête, comme la plus grande démonstration des capacités de l'espèce humaine, désormais capable d'échapper même à la mort du soleil. On veut aussi y transporter des performances. Dans une planète creuse tournant au ralenti, où règne une pesanteur dix fois plus faible que sur terre, le patinage artistique, le saut à ski et le vol libre deviennent des spectacles fabuleux. Ce sont des cathédrales médiatiques, à la gloire du corps humain.
Mais les dirigeants conservent aussi une arrière pensée. Le jour venu, les cités lointaines et isolées, les villes marines et même les planètes creuses artificielles ne seraient-elles pas bien utiles pour se débarrasser des personnages indésirables sur terre ? La colonisation du nouveau monde s'était grossie des marginaux et délinquants dont ne voulait plus la vieille Europe. Il y a des héros chez les pionniers. Il y a aussi des despérados qui s'échappent d'un monde hostile.
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